Alexandre Khanoyan
Dans un placard gît une boîte. Une simple boîte en bois vide, décorée de papier collé. Inscrit dessus, H. Upmann n°2, Totalmente a mano, Mars 2012.
L’amateur est rapidement ému par ses vieilles conquêtes d’une époque révolue, où, étudiant, ces vitoles représentaient tout de même un certain luxe. Mais cette légère émotion n’est rien face à l’amère découverte qu’est celle de cette petite étiquette, collée rapidement par un patron de tabac, sur laquelle est griffonnée le prix : 10,80€.
De nos jours, les variations de prix des havanes dépassent largement celles de n’importe quel placement financier. La production a baissé, la demande, elle, a explosé, et nos amis communistes semblent avoir découvert le capitalisme.
Cohiba et Trinidad ont vu leurs prix quadrupler en quelques années, de nouvelles lignes « premium » continuent d'apparaître, tandis que le reste du catalogue a simplement doublé.
Mais la consommation de cigares cubains n’est pas seulement devenue un luxe, mais aussi un sport de riche.
Face aux pénuries, l’amateur doit enfiler sa saharienne, et se lancer à la chasse aux boîtes disponibles. A l'affût devant les civettes qu’il côtoie, il attend les livraisons. Fini le temps où l’on allait nonchalamment dans les civettes les plus connues de Paris pour y faire ses emplettes, celles-ci ne proposent plus que les lignes ultra-premium qui seront – peut-être – achetées par un touriste Chinois après avoir dévalisé Hermès et Louis Vuitton.
Mais le temps de l’abondance est fini. On achète ce que l’on trouve, au prix fort. Reverrai-je un jour au rayon de ma civette préférée des Partagas 8-9-8 ? Permettez moi, cher lecteur, d'en douter. Peut-être en trouverais-je une boîte dans une obscure cave Genevoise, à un prix qui n’aurait rien à envier à un grand cru bordelais.
Alors quoi, faut-il accepter la défaite ? Évidemment que non, nos appartements sentiraient bon et nos femmes ne seraient que trop heureuses. Après des années à investir dans notre cancer, il est de bon ton de persister jusqu’aux premiers signes de métastase.
La réponse tient évidemment en deux mots, longtemps honnis dans l’Hexagone : le Nouveau-Monde. Oui, vous m’avez bien lu, le Nicaragua, la République Dominicaine, le Honduras, voir pire, le Mexique ! Ces pays qui pendant longtemps se sont contenté de vouloir recréer, avec peu de succès, le goût cubain, ont fini par s’affranchir de ces limitations pour accepter leur terroir et créer des cigares foncièrement différents.
Car oui, ces lignes ne sont pas ici pour vous conseiller de fumer du Davidoff ou du Arturo Fuente, ces dignes et anciennes maisons qui produisent avec brio parmi les cigares les plus ennuyants au monde, mais au contraire d’aller s’aventurer vers des maisons qui osent avec succès l’originalité.
Comprenez-moi, je continue de mettre la main dès que je peux sur des boîtes de vitoles cubaines. Ces dernières reposent sagement dans un grand cabinet et vieillissent lentement mais sûrement pour être dégustées après plusieurs années. Si une envie de classicisme me prend, certaines sont à maturité.
Dégustation
En écrivant ces lignes, votre serviteur prend pourtant son pied – sa femme étant évidemment absente – en fumant une pépite du Nicaragua : le My Father Le Bijou 1922 en format Petit Robusto.
A l’origine de cette marque, Don Pepin Garcia, ancien Torcedor cubain de renom, ayant quitté l’île au début des années 2000. Sa manufacture, située à Estelí au Nicaragua, produit une vingtaine de lignes différentes, en plus de produire en marque blanche pour d’autres producteurs. En France, la disponibilité est malheureusement plus réduite : on retrouve quelques modules de la gamme Don Pepin Garcia Blue Label, les gammes basiques de La Aroma del Caribe et Paradisio produites pour Ashton, les excellents Tatuaje pour Pete Johnson, et enfin, la série My Father Le Bijou 1922. Cette ligne se décline en France en trois modules : Petit Robusto (11,43cm x 50 ; 16€) ; Grand Robusto (14,30cm x 55 ; 23,50€) et Toro (15,24cm x 52 ; 22,50€), snobant malheureusement l’extraordinaire Torpedo, que l’on peut cependant se procurer chez nos voisins Suisses.
Je jette mon dévolu aujourd’hui sur le module le plus abordable de la gamme, le Petit Robusto, cigare compacte, qui en a plus dans le ventre qu’il ne le laisse paraître.
Il se présente avec une magnifique cape « pelo de oro » nicaraguayenne, huileuse et nervurée, rappelant un cuir patiné. Sous-cape et tripe sont également nicaraguayenne, faisant du cigare un « puro », un cigare dont tous les tabacs proviennent du même terroir.
Si une cape sombre, de type maduro ou oscuro n’est pas forcément synonyme de puissance, les premières bouffées rappelleront à nos lecteurs zadistes leur première rencontre avec un CRS.
En effet, la plupart des cigares My Father démarrent par une véritable explosion de poivre, le Bijou ne dérogeant pas à la règle.
J’en profite pour apporter une distinction entre force et puissance : j’emploie ici le terme de puissance pour évoquer l’intensité aromatique du vitole, là où la force relève plus du taux de nicotine que du cigare. Les deux vont souvent de pair, mais là où la force croît au fur et à mesure de la combustion, la puissance aromatique en fait à sa guise.
Ce cigare fait donc une entrée théâtrale, imposant sa signature, avant de rapidement se calmer et dévoiler une palette aromatique large. En bon représentant du terroir nicaraguayen, le chocolat noir, le café – plus ristretto corsé et amer que presse française – et le poivre sont présent tout le long du cigare. Le premier tiers fait également la part belle aux arômes de noix notamment dans sa rétro-olfaction, tandis que le second tiers devient légèrement crémeux tout en apportant des notes de cuir.
Sur la cinquantaine de My Father Le Bijou que j’ai pu fumer, la construction n’a jamais présenté le moindre défaut. Le cigare est roulé serré, comme un cubain classique, permettant à un si petit cigare de tenir 1h15min au cours de cette session.
Voilà un cigare qui n’a rien à envier en termes de qualité et de complexité aux plus belles maisons cubaines, mais qui surtout, ne cherche pas à les imiter. Une expérience sincèrement différente, qui à elle seule peut vous faire relativiser les pénuries.
Actualité
Depuis le 29 mars 2024, il n’existe plus de limite sur le nombre de cigares que vous pouvez transporter en franchissant une frontière européenne. Voilà une bonne occasion de vous offrir un weekend dans l’un des très nombreux pays voisins où le prix des cigares est plus faible, et le catalogue plus fourni !