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Augustin de Poncheville

La beauté, de 0 à 100 sur une banquette en cuir.

Augustin de Poncheville

Illustré par William Lentz

 

Rien n’est plus subjectif que le mot « Beau » dans le monde automobile, et rien n’est plus clivant  aujourd’hui. Si pour certains, la voiture au sens large du terme n’est qu’un moyen technique de se déplacer d’un point A à un point B ; le monde de passionnés, amateurs et collectionneurs y voit un symbole de liberté, un éveil des sens, la réalisation d’un rêve.

 

Depuis ses origines, qui remontent au début du XXe siècle (pour simplifier), l’automobile est une prouesse technique et mécanique qui se vient se placer au premier plan, devenant un véritable marqueur social. Dans la nébuleuse de propriétaires fortunés, se démarquer est une priorité. Les carrossiers, véritables tailleurs automobiles, redoublent de créativité et d’intelligence afin de rendre au client une voiture extravagante, unique, qui n’a de limites que le fond du portefeuille du propriétaire.


La beauté, de 0 à 100 sur une banquette en cuir.

La succession de conflits mondiaux, les crises économiques et politiques de l’après Seconde Guerre mondiale, dirigent l’industrie vers la normalisation et l’accessibilité, tout en gardant le souci de l’esthétisme. En France, la myriade de marques qui composaient le parc automobile national disparaissent tour à tour, faute de financement et de clients ; Bugatti, Delahaye, Talbot-Lago, Delage pour citer les plus connues. Le soft-power américain dirige alors l’esthétisme de nos voitures françaises et le monde tend petit à petit à s’unifier, à se lisser au sortir des années 1960.

 

Évidemment, certains modèles sont « épargnés » par ce passage à la serpe, on peut penser à la Jaguar Type-E qu’Enzo Ferrari en personne qualifiera de « voiture la plus belle du monde » mais aussi bien entendu aux étalons qui sortent des usines de Maranello et notamment du modèle 250 et de toutes ses déclinaisons. J’ai, et nous avons tous, des exemples qui nous sont chers dans cette période-là des Trente Glorieuses, de l’économie florissante, de la sacralisation de la réussite où l’automobile reste encore un marqueur social mais devient petit à petit une véritable marque d’adhésion à un parti politique.

 

Les rondeurs des carrosseries des années 1950-1960 ont laissé la place aux angles saillants des années 1990 où les grands groupes industriels se forment et basent leurs modèles sur la même architecture. Est-ce là la fin du beau ?

 

Comment l’automobile est-elle passée, en l’espace d’une trentaine d’années, d’une fierté pour le propriétaire à un vulgaire smartphone, simple outil périssable que l’on utilise qu’à quelques pourcentages de sa réelle capacité ? Que vous soyez érudit ou simple amateur, il n’est pas compliqué d’ouvrir ses yeux dans les rues pour voir que toutes les voitures se ressemblent, qu’elles sont toutes de couleurs fades, souvent sales ou peu lavées, souvent en piteux état. Y a-t-il un manque de fierté de la part des propriétaires, ont-ils perdu la notion du beau, de l’esthétisme, ou les grandes marques ne sont-elles plus capables de présenter des projets alléchants, qui se démarquent et qui rallumeraient la petite flamme dans le cœur des passionnés ?

 


La beauté, de 0 à 100 sur une banquette en cuir. Intemporel Magazine

Ces interrogations ont aujourd’hui des réponses convaincantes qui se reflètent toutes dans la même idée : le retour aux origines. On assiste depuis une petite dizaine d’années à un vrai regard dans le passé de la part des constructeurs qui proposent des « re-fabrications » ou des réinterprétations de leurs succès commerciaux, de leurs légendes sportives ou de leurs bêtes de concours de beauté. Prenons l’exemple de Porsche, célèbre constructeur allemand apparu à la fin de la Seconde Guerre mondiale et dont le modèle le plus connu et le plus vendu est la 911 depuis 1964. Aujourd’hui, en 2023, la 8e génération de la sportive est commercialisée et évidemment elle n’a plus rien à voir avec la première, mais les ingénieurs et commerciaux de la marque ont travaillé pour qu’un hommage soit rendu au modèle original. On peut y voir une épuration des lignes, une sellerie identique, des séries limitées copiées sur les premières déclinaisons du modèle, un retour aux sources aussi sur la partie mécanique avec la réapparition de la boîte manuelle, si chère aux pilotes chevronnés et véritables puristes. L’engouement de plus en plus important pour les modèles de collection poussent les marques comme Porsche à ajuster leur tir sur les modèles neufs, tandis que les styles clivants des années 2000 se font petit à petit oublier.

 

Porsche n’est évidemment pas le seul ; du côté de nos chers britanniques, Aston Martin et Jaguar ont même re-fabriqué à l’identique des DB4 Zagato, des Type-D, des XKSS ; modèles mythiques des années 1950 et 1960 qui ont fait la renommée sportive et stylistique de ces deux joyaux de la couronne. Les marques ouvrent des départements historiques, avec des chercheurs qui sont chargés de diriger le regard et les idées des ingénieurs vers les grandes heures de la firme. On retrouve aujourd’hui, dans les grandes manifestations et dans les salons dédiés à l’automobile ancienne, ces entreprises fières de présenter leurs reconstructions, leurs restaurations.

 

La beauté, de 0 à 100 sur une banquette en cuir. Intemporel Magazine

Toujours dans cette optique de faire renaître une légende, certaines marques éteintes depuis de nombreuses années reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène avec une réinterprétation moderne de leur image ; il y a l’exemple de De Tomaso, marque italo-argentine des années 1960 et 1970 qui a présenté son nouveau modèle P72 lors du Festival of Speed de Goodwood en 2019. Delage et Ballot font également partie de ces revenants.

 

Pour diriger la question du beau dans l’automobile et conclure sur ces quelques lignes qui ne répondent que peu à une problématique passionnante, je pense qu’il ne faut pas tomber dans le cliché du « c’était mieux avant », une tendance chez les passionnés et les collectionneurs (dont je fais partie). Les souvenirs passés sont toujours agréables lorsque l’on évoque la voiture de sa jeunesse, celle de son père, d’un voisin, celle qui nous a fait vibrer, celle que l’on avait en poster dans notre chambre d’adolescent. Le monde actuel et le secteur de l’automobile nous réservent encore de grandes surprises, même s’ils ne comptent pas se débarrasser de cette dynamique d’évolution technique, loin d’être incompatible avec l’esthétisme pur.

Comme l’a dit notre cher Président de la République : « La bagnole, moi, je l’adore », et bien moi aussi j’aime la « bagnole », j’aime celle d’hier, celle d’aujourd’hui et j’aimerai celle de demain car même si les contraintes écologiques et économiques dégradent son image, la passion reste et restera.




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