Sasha Lebœuf
Le Beau est depuis longtemps, si ce n'est depuis toujours, rattaché à l'art. Parler du Beau c'est parler d’art, mais parler d’art ce n'est plus toujours parler du Beau. Et le Beau en parlant d'art contemporain c'est encore autre chose…
Mais avant de se lancer dans des explications ou des justifications pour maintenir crédible ou tout simplement crédibiliser à vos yeux l'art contemporain, permettez-moi de contextualiser un peu.
L’origine du Beau Absolu
La recherche du Beau est une quête éternelle. D'abord puisque les perfectionnistes et les idéalistes s'accorderont à dire qu'il est inatteignable et que cette quête est vaine. Toutefois, l'artiste a toujours cherché le Beau et n'en déplaise aux grands utopistes, ce Beau fut trouvé.
Avant d'arriver dans sa forme la plus parfaite et la plus absolue, en peinture, le Beau fut découvert par Sandro Botticelli. Le maître italien réalisa ce qu'alors nous pouvions caractériser comme s'approchant au plus près de la Beauté Absolue. Je tiens ici, à faire un aparté : je défends l'idée d’une beauté absolue, possible et réelle. L’idée d’une beauté à la fois physique , intellectuelle, morale, idéologique et surtout intemporelle. Certaines créations s'approchent au plus près de cette beauté absolue. Évidemment, elle comporte plusieurs angles qui peuvent être musicaux, charnels, intellectuels etc. Les exemples de beauté absolue sont infinis. Pour que cette beauté soit belle et bien absolue, il faudrait qu'elle touche tout le monde et sans distinction, peu importent l’ethnie, l’âge, le sexe ou la culture.
La grande beauté nous dépasse car nous ne pouvons l'expliquer. Cela est beau ? Pourquoi ? Comment expliquer le sentiment incontrôlable que cela éveille en nous : le Beau donc, qui parle à tous, à tout le monde, sans aucune distinction. L'universalité de ce Beau trouva ses ébauches dans la peinture et l'art. Des siècles, que dis-je des millénaires, furent nécessaires pour avoir cette première ébauche d'une forme absolue de la beauté. À la fois païen et catholique, l'histoire du monde occidental s'inscrit sous son pinceau et le peintre italien, consciemment ou non, réunit une énorme part de la culture internationale... Et Vénus voit le jour.
Elle est belle, mais elle n’est pas parfaite, pas encore. Mais alors de quoi manque-t-elle ? Manque-t-elle de technique ? De référence ? Ou bien manque-t-elle d'intemporalité ? Est-elle justement trop moderne, trop neuve ?
Le peintre de la perfection, le peintre du vrai, sera celui qui atteindra en peinture le Beau. Et il est aussi italien : Raffaello Sanzio, dit Raphaël. Il réussit à joindre modernité esthétique et intemporalité technique. Ces qualités qui sont inaliénables au succès d’un Beau absolu.
A partir de là, l'art changea.
Trouver encore plus Beau
Le Beau avait été atteint, le beau réel, le beau naturel. Il fallait désormais trouver un beau encore plus superbe. Un Beau imaginaire, idéalisé, voire utopique. Il fallait trouver l'absolu dans l'imaginaire. Et petit à petit, la ressemblance avec la nature n'était plus un objectif de beauté. On se mit à déformer les corps, à déstructurer les lumières, afin de rechercher encore et toujours un beau plus beau. Lentement d'abord, puis de plus en plus rapidement, la forme oublie le dessin.
La fin du XXème siècle vit naître une pluralité de mouvements picturaux tous plus novateurs les uns que les autres. Et logiquement, de toile en toile et d'année en année, l'abstraction se fit une place dans la recherche du Beau. Ainsi aujourd'hui le Beau n'est plus seulement une recherche de l’état naturel et imitable de notre quotidien, pas plus que de nos souvenirs. Les artistes ont cherché à travers les sentiments un esthétisme indéfinissable, quelque chose qui nous plaît et qui nous transcende. C'est beau et ça l’est sans couleur naturelle et sans forme préexistante.
Tout est entièrement créé par l'imaginaire de l'Homme. Avec pourtant le même but, celui de plaire à tous, encore une fois sans distinction. Les sociétés évoluent, les temps changent, et les références communes se font de plus en plus rares. Le nombre de livres augmente et il est désormais plus dur de trouver cent personnes ayant lu le même ouvrage et partageant les mêmes références iconographiques. Ces références plus larges deviennent de la pop culture. Il est en somme difficile d'imaginer une œuvre d'art figurative qui aurait un message universel de beauté s'appuyant sur des références intemporelles auxquelles toutes les civilisations seraient sensibles. De ce point de vue, l'abstraction résout un problème de taille, elle parle à tout le monde et sans traducteur.
Aujourd’hui
Nous voici donc à l'arrivée à la question fatidique, il y a-t-il du Beau dans l'art contemporain ? L'art contemporain ne vend plus une œuvre finie, une création matérielle, elle vend tout un monde d'idées et d'innovations. Le collectionneur n'achète pas un tableau dont les couleurs lui plaisent, il achète l'idée de la création de ce tableau. Il achète l'artiste, son monde, son univers, son message. Il achète le processus et l'idée. Est-ce une bonne chose ? Est-ce une perversion moderne ?
Je ne suis pas sensible à l'intellectualisation systématique de toute chose. J'aime à rappeler que l'art est avant tout esthétique. Il servira ensuite différentes causes, la propagande, les mythologies religieuses, les messages sociétaux... Mais à l'origine l'art est esthétique. C'est l'histoire, le jugement collectif qui rend l'œuvre artistique. Combien de palais italiens, de temple païens, d'églises françaises ont été les commanditaires d'œuvres d'art dans le but de décorer leurs murs, leurs sols et leurs alcôves ? Du plafond de la chapelle Sixtine, des murs des grands salons du Louvre, et jusqu'aux plaques d’émail des remparts de Babylone, l'art devait rendre matériel le Beau.
De tout temps, l'art a servi la spéculation ; de tout temps, l'art était envahi de mauvais artistes et de petites œuvres. L'histoire les trie. La mémoire collective sauve ce qu'elle veut garder. Il y a encore du beau dans l'art. Même si depuis plusieurs années maintenant celui-ci n’a pas pour premier but de la dévoiler. L'histoire est un cycle. N’oublions pas notre force qui est d'impulser dans le monde ce qu'il y a de plus valeureux en chacun de nous, cette cause qui surpasse toutes les autres : trouver le Beau.