Romain de Vregille, illustré par Croquis Sartoriaux
Dernier bastion du bien vêtir, les cabinets d' avocats d'affaires sont-ils aujourd’hui devenus des repaires du « Grand Relâchement » sartorial qui s’opère depuis de trop nombreuses années dans notre société post-moderne ?
L’avocat a toujours été intrinsèquement lié, dans l’imaginaire collectif, à une mise impeccable confinant au méchant de cinéma, comme le trop génial Harvey Specter de la série Suits. Son apparence extérieure minutieusement travaillée donne le ton et sa prestance lui permet de s’imposer face à ses adversaires, en réunion confidentielle ou dans les prétoires. Le Barreau a toujours attiré les profils les plus élégants, dans le verbe et dans le geste, cachant sous la robe de jolis crans parisiens réalisés par les grandes maisons de la capitale, des chemises Charvet, des cravates Hermès, des vestes Arnys ou encore des souliers vernis Aubercy, faits à leur mesure.
L’entrée dans un cabinet d’affaires donnait le ton, costume deux ou trois pièces de rigueur, cravate tous les jours et cirage des souliers obligatoire, aux heures perdues laissées par les clients pressés des associés. Les plus intrépides des jeunes confrères tentaient le dépareillé, le vendredi pour éviter toute remarque désobligeante, ou lorsqu’ils travaillaient pour un associé un peu brindezingue assumant les complets en tweed. Puis le « Casual Friday », cette abomination anglo-saxonne, débarqua subrepticement dans les alcôves feutrées des bureaux du VIIIème arrondissement par l’entremise des banquiers d’affaires, ces pères fouettards rossant sans vergogne les avocats jusque tard dans la nuit pour sortir l’extensive documentation juridique des opérations de fusions & acquisitions.
Comme pour bien des situations contemporaines, l’exception finit par devenir la règle et, du vendredi où l’on pouvait juste « tomber la cravate », l’on passa sans coup férir au polo sans veste, rajoutant des sneakers pour l’associé récemment divorcé devant emmener sa jeune pépé blonde dans son coupé sport dans un Relais & Châteaux de Normandie pour le congé de fin de semaine.
L’abandon progressif de règles strictes d’habillement accompagnait, selon les propres explications des banquiers et avocats d’affaires, une tendance également présente chez les clients de ne plus trop se soucier de formalité et qui, si elle n’était pas suivie par tous ces conseils vivant à leur crochet, risquait de leur faire perdre leurs précieux prospects. Le passage au « Smart casual » devenait donc la règle, et tel Saturne dévorant ses enfants, l’informel qui sommeillait dans la vie personnelle engloutit d’un trait le formel qui primait dans la vie professionnelle…
Adieu veau, vache, cochon, couvée, les marques s’engouffrant dans la brèche de l’informel, les avocats virent aussi leur cuti et embrassèrent la nouvelle mode des vestes molles, des chemises à col ouvert, des polos à haute gorge, des chinos colorés, etc. Alors, bien sûr, il y a toujours là, pendue sur un portant, triste et un peu défraîchie, une régate rayée bleue marine, le modèle passe-partout pour au cas où une cravate était imposée à un rendez-vous, mais les penderies des Maîtres ont presque définitivement changé après le Grand Relâchement post-covidien. En distanciel, il est même possible d’en croiser vêtus de hoodies dans leur confortable appartement lors de conférences téléphoniques…mais alors où va-t-on ?
Heureusement, il reste évidemment nombre de confrères qui maintiennent. J’en veux pour preuve le Prix Dandy Magazine remis à Ardavan Amir-Aslani en 2023 dans la catégorie Avocats, triple A en matière de bel habillement, ou le regretté Maître Hervé Temime arborant de jolis crans parisiens, ainsi que tant d’autres qui, discrètement, s’assurent que les photos publiées sur le site internet de leur cabinet correspondent à une réalité sartoriale lorsque nous avons la chance (ou pas) de les croiser dans notre vie personnelle ou professionnelle !